Retour (et détours) à Paris dans un rayon d’un kilomètre

Je lève la tête et je contemple la lune embrumée et son auréole arc-en-ciel. La nuit est tombée et chacun rentre chez soi. Les lampadaires baignent les rues d’une lumière jaune, chaude et rassurante, éclairant les chorégraphies de ceux qui se croisent sans se rencontrer.

J’entends les bruits de la ville, celui du métro aérien qui passe, celui des voitures et d’un scooter au loin qui démarre. Parfois le silence permet de distinguer le son de la brise qui traverse les feuillages ou des conversations d’enfants sur le retour de l’école. Dans le silence je distingue de loin le son de la respiration du cycliste qui monte cette côte et le grincement de la chaine du vélo.

Par moments j’ai l’impression d’être dans un film de science fiction, perdu sur une planète inconnue au milieu d’un ballet de robots. La dame en hoverboard s’avance immobile comme sur un tapis roulant. L’homme à vélo qui passe garde les mains dans les poches et semble en lévitation. Son casque clignote de mille feux, de rouge et de blanc au milieu de la nuit comme un vaisseau dans le ciel. Tous ont l’air étrange avec leurs écouteurs rivés dans les oreilles et leur manière de se déplacer en lignes droites comme téléguidés. La plupart parlent au téléphone comme s’ils avaient des problèmes à régler.

En marchant, je regarde les lumières allumées chez les gens, la décoration de leurs appartements. Tous ne sont pas encore rentrés chez eux. En marchant je zigzague, je regarde à gauche, à droite, et tente de croiser des regards. Moi je vagabonde, c’est le privilège du désœuvré, de celui qui n’a aucun but. Mais c’est aussi une solitude. Tout le monde a un point de départ et d’arrivée, un parcours prévu, optimisé, sauf moi. Planté là à l’intersection de leurs trajectoires j’ai le sentiment de gêner.  Je sais de moins en moins ce que c’est que d’avoir une direction à suivre.

Dehors depuis un moment, j’ai mis du temps à réaliser que tout le monde porte un masque, comme quoi on s’habitue à tout, même au pire.  J’observe au loin des policiers qui arrêtent une voiture sur une piste cyclable provoquant un cafouillage dans le passage des cyclistes. Je trouve la scène amusante et dégaine pour prendre une photo. Je vise, et voilà que mon cœur s’accélère jusqu’à battre à tout rompre. C’est autorisé encore de prendre des policiers en photo ?

Retour à la réalité.

A quelques mètres de là  je vois un SDF dans sa tente quechua, et les images choquantes des derniers jours me reviennent. Des images que je cherche à oublier, sans succès. Et voilà que dans la nuit j’ai peur.

Vite, rentrer chez moi.

Texte écrit a posteriori à partir de deux photos, d’un enregistrement sonore et de notes prises in situ.